Gingembre — Anti-inflammatoire et analgésique pour la dysménorrhée
Le gingembre, ou Zingiber officinale, a été reconnu dans le monde entier pour son action en tant que remède anti-nausée. Cependant, la médecine traditionnelle chinoise utilise le gingembre comme agent anti-inflammatoire pour des problèmes musculo-squelettiques depuis plus de 2 500 ans [1] [2]. Le gingembre est une plante de la famille des Zingiberaceae, regroupant beaucoup d’autres plantes anti-inflammatoires comme le curcuma (Curcuma longa) et le grand galanga (Alpinia galanga) [3].
Les chercheurs ont étudié les constituants responsables des propriétés analgésiques et anti-inflammatoires du gingembre, avec quelques résultats prometteurs pour des applications médicales concernant la douleur. Bien qu’il ne soit pas prescrit de manière conventionnelle pour la douleur par la médecine occidentale, le gingembre peut constituer un nouveau traitement pour la dysménorrhée chez les femmes qui ne tolèrent pas les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les contraceptifs oraux, ou s’ils leur sont contrindiqués.
Gingembre et bêta-endorphines
L’utilisation du gingembre comme analgésique a été étudiée au Danemark et aux États-Unis, pour la douleur arthritique et la douleur musculaire après l’exercice (apparition différée de courbatures) [4]. Son action analgésique a été attribuée à sa capacité à stimuler la libération de bêta-endorphine, un neuropeptide opioïde endogène [2].
Il est intéressant de noter que d’autres études ont aussi observé les niveaux de bêta-endorphines lors de douleur pelvienne chronique. Les hommes chez qui une « stase sanguine » a été diagnostiquée par un(e) docteur(e) en Médecine chinoise traditionnelle (MCT), entraînant une douleur pelvienne chronique, ont présenté des niveaux plus faibles de bêta-endorphines périphériques [5]. Le diagnostic de stase sanguine par la MCT décrit aussi les femmes avec dysménorrhée, endométriose, caillots noirs dans le flux menstruel, et une douleur globale sévère, vive et pulsatile.
Lorsque les niveaux de bêta-endorphine ont été analysés chez des femmes souffrant d’un trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), des niveaux plus faibles de bêta-endorphines périphériques ont été mesurés, lors des phases folliculaire et lutéale du cycle menstruel, mais les patientes ont aussi constaté une baisse du seuil et de la tolérance à la douleur [6]. Par conséquent, des niveaux faibles de bêta-endorphines peuvent être pathophysiologiquement significatifs quand il s’agit de traiter la douleur pelvienne chronique.
Inhibition COX et effets anti-inflammatoires
Il a été démontré que des constituants présents dans la racine de gingembre, comme le 6-gingérol et les gingerdiones, inhibaient les enzymes cyclooxygénase (COX) et lipoxygénase, ce qui entraîne l’inhibition de la synthèse de leucotriènes et prostaglandines [1] [2] [4] [7]. C’est par ce mécanisme que des effets anti-inflammatoires ont été observés chez des patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde [10], ou de dysménorrhée [2] [9] [11]. L’inhibition pharmaceutique de la COX a été utilisée depuis des dizaines d’années pour traiter la douleur et l’inflammation. Les inhibiteurs COX-2 sont les plus notables, comme le célécoxib pour les affections arthritiques, et les AINS, comme l’ibuprofène et le naproxen, qui bloquent les enzymes COX-1 et COX-2.
La recherche sur un extrait de gingembre
spécifique, Eurovita extract-77, qui combine le
Zingiber officinale et l’Alpinia galanga, a montré
qu’il pouvait inhiber l’induction de plusieurs gènes
associés à la réponse inflammatoire, dont ceux des cytokines, chémokines et COX-2 [9]. Une étude sur
des patients atteints d’arthrose a démontré que
la prise de 225 mg d’Eurovita extract-77 deux fois
par jour pendant 6 semaines, réduisait
significativement la douleur et la raideur,
comparé au placebo [10].
Un mécanisme d’action complémentaire est peut-être la manière dont le gingembre affecte la circulation ; en tant que stimulant efficace de la circulation périphérique, le gingembre peut aider à soulager la douleur des crampes [8]. Cela corrobore notre théorie de la MCT indiquant que la stagnation ou stase sanguine provoque une douleur profonde en coup de poignard, pulsatile. Les symptômes peuvent donc être soulagés en améliorant la circulation, aussi décrit en MCT comme « flux sanguin régulier et Qi », plus spécifiquement Qi du Foie et Sang du Foie qui affectent le flux menstruel.
Inflammation et dysménorrhée
Agissant comme inhibiteur des voies inflammatoires, activateur de la circulation périphérique et analgésique efficace, le gingembre devrait être sérieusement pris en considération comme traitement alternatif ou complémentaire de la dysménorrhée.
La dysménorrhée se caractérise par une douleur menstruelle sévère qui apparaît chez 50 % des femmes, au maximum, le plus souvent durant les premiers jours des règles [2]. La dysménorrhée primaire est diagnostiquée en l’absence de toute autre pathologie identifiable qui pourrait causer cette douleur [4]. L’apparition de la douleur a été attribuée à une augmentation de la production de prostaglandines dans l’endomètre [1] et de l’activité de COX-2 [7]. Les chercheurs et chercheuses ont décelé des niveaux élevés de prostaglandines F2-a et E2, et de leucotriènes chez des femmes souffrant de dysménorrhée, comparés à celles qui ne ressentent aucune douleur pendant les règles [11]. L’activation de ces substances liées à l’inflammation peut aussi conduire à une augmentation de la sensibilité à la douleur [4].
Des études ont démontré que la dysménorrhée pouvait affecter la performance académique, ainsi que les activités sociales et sportives chez les jeunes femmes [11]. Le traitement conventionnel implique des contraceptifs oraux ou des dispositifs intra-utérins de libération de progestine, et les AINS qui constituent typiquement la thérapie de base pour la douleur menstruelle aiguë. Ceux dont l’efficacité a été démontrée incluent l’ibuprofène, le naproxen, l’acide méfénamique et l’aspirine [1]. Ceci dit, le taux d’échec de soulagement de la douleur menstruelle de ces traitements se situe entre 20 et 25 % [2]. Certaines femmes évitent habituellement ces produits à cause des effets secondaires courants comme la nausée, la dyspepsie et autres perturbations gastro-intestinales [1].
Efficacité du gingembre sur la dysménorrhée
Des études ont analysé l’efficacité du gingembre
sur la dysménorrhée primaire, en utilisant une
poudre de racine de gingembre séché comme
forme de traitement. Ces préparations étaient standardisées en doses de 1000 à 1500 mg de
poudre de gingembre, mais la concentration en
gingérol et autres constituants n’a pas été
mesurée [3] [4]. Néanmoins, des améliorations
positives et statistiquement significatives
concernant la douleur menstruelle ont été
globalement constatées.
Une étude à double insu, contre placebo, menée
dans des conditions contrôlées, par Rahnama et
ses collaborateurs (2012) a examiné l’efficacité du
gingembre pour soulager la douleur chez des
femmes souffrant d’une dysménorrhée modérée à
sévère [7]. Le traitement consistait à prendre 1500 mg de poudre de gingembre séché en capsule, une fois par jour pendant les trois premiers jours du cycle menstruel. Les résultats ont démontré que le gingembre provoquait une baisse conséquente de la durée et de l’intensité de la douleur, comparé au placebo [7].
Ozgoli et ses collaborateurs (2009) ont montré que l’efficacité du gingembre était similaire à l’ibuprofène et l’acide méfénamique [1]. Des patientes souffrant de dysménorrhée modérée à sévère ont reçu un des trois traitements ci-dessus. La sévérité de la douleur et la satisfaction due au soulagement de la douleur étaient comparables entre les groupes, avec un taux de réussite de 62 % avec le gingembre, 54 % avec l’ibuprofène et 44 % avec l’acide méfénamique [1]. À la différence d’autres études de ce genre, Ozgoli et ses collaborateurs (2009) ont utilisé une échelle basée sur les limitations d’activités dues à la douleur pour mesurer le résultat, alors que la plupart des autres études ont employé L’échelle visuelle analogue (EVA ou VAS en anglais).
Jenabi et ses collaborateurs (2013) ont aussi trouvé des résultats positifs avec le traitement au gingembre ; 82 % des sujets ont constaté que le gingembre réduisait la douleur menstruelle [11]. Il est vrai que cette étude n’était pas d’une très grande taille (n=35), avec 1500 mg de poudre de gingembre séché pris en doses divisées durant les 3 premiers jours des règles, mais le changement dans la douleur perçue était conséquent, avec une baisse de plus de 3 cm sur l’EVA [11].
Ces études ont des limitations et des recherches supplémentaires sont requises. Beaucoup d’études ont testé des traitements sur seulement un cycle. Comme beaucoup de femmes le savent, chaque cycle menstruel peut être légèrement différent des autres. La douleur peut donc varier d’un cycle à l’autre ; des facteurs alimentaires et physiques peuvent aussi influencer la douleur et l’inflammation, tout comme les niveaux hormonaux de progestérone et d’œstrogène. Cependant, comme traitement d’urgence, le gingembre peut être un excellent substitut aux AINS, avec un meilleur profil d’innocuité pour les femmes [4]. Grzanna (2005) va même jusqu’à suggérer que le gingembre peut avoir une meilleure action thérapeutique pour la douleur et l’inflammation, car c’est un double inhibiteur des enzymes COX et de 5-lipoxygénase [9], comparé aux produits pharmaceutiques qui inhibent seulement la COX.
Ce mécanisme fait du gingembre un complément précieux aux AINS, car son action complémentaire améliorerait celle des AINS et permettrait donc d’en réduire le dosage pharmaceutique.
Innocuité, usage et dosage
Bien que le profil d’innocuité du gingembre soit supérieur à ses équivalents pharmaceutiques, il y a toujours des limitations quand il s’agit du dosage. Des études pharmacologiques sur les humains ont montré qu’en doses importantes, entre 12 et 14 g, le gingembre peut réduire l’agrégation plaquettaire et donc améliorer l’efficacité des anticoagulants [8]. Ceci dit, cette étude rapporte qu’il n’y avait pas de différence de temps de saignement entre le groupe traité et le groupe placebo [8].
Le dosage habituel pour le mal des transports ou le mal de mer se situe entre 1 et 2 g de poudre séchée en dose unique [12]. Dans la MTC, le dosage prescrit pendant la grossesse ne dépasse pas 2 g par jour de poudre séchée [8].
Les patient(e)s souffrant d’arthrose ont constaté
une diminution significative des symptômes avec
des extraits de gingembre de 340 mg à 1020 mg
par jour, et l’ont trouvé similaire au diclofénac en
termes d’efficacité [1] [3]. Étant donnés ces
résultats et ceux des études évoquées plus haut,
il semble raisonnable d’utiliser un dosage de 1 à
2 g de poudre de gingembre séché par jour,
divisé, pour le traitement de la douleur menstruelle
aiguë. Des études ultérieures peuvent être requises
pour évaluer l’efficacité du dosage journalier en dehors des trois premiers jours des règles, pour d’autres états de santé entraînant une douleur pelvienne chronique.
Conclusions
Un aspect prometteur du gingembre appliqué à la douleur, est qu’il peut aider à réduire ou éliminer le besoin d’AINS. Il peut aussi permettre à certaines femmes d’éviter les thérapies hormonales synthétiques en cas d’absence de cycles, de cycles irréguliers, ou d’autres déséquilibres hormonaux.
En général, le traitement au gingembre s’est révélé meilleur ou comparable aux anti-inflammatoires pharmaceutiques pour réduire la douleur aiguë et chronique [3]. Il peut constituer une alternative saine et efficace pour les femmes qui ne tolèrent pas les effets secondaires des AINS ou pour ceux ayant une contrindication pour leur usage [1] [12]. Il peut aussi aider à réduire le dosage des AINS, car le gingembre et les AINS ont des mécanismes d’action similaires sur les voies inflammatoires.
Des recherches ultérieures sont requises pour analyser en profondeur les différences de résultats avec des préparations de poudre de racine séchée, comparés à des extraits spécifiques standardisés pour des composés comme le gingérol, qui semble être le constituant responsable de l’inhibition de la synthèse de prostaglandine, similaire aux AINS [1].
Références
1. Ozgoli, G., et al. « Comparison of effects of ginger, mefenamic acid, and ibuprofen on pain in women with primary dysmenorrhea » J Altern Complement Med. Vol. 15, No. 2 (2009): 129-32
2. Shirvani, M.A., et al. « Use of ginger versus stretching exercises for the treatment of primary dysmenorrhea: a randomized controlled trial » J Integr Med. Vol. 15, No. 4 (2017): 295-301.
3. Lakhan, S.E., et al. “Zingiberaceae extracts for pain: a systemic review and meta-analysis” Nutr J. Vol. 14 (2015): 50
4. Chen, C.X., et al. “The effect of oral ginger (Zingiber officinale) for dysmenorrhea: A systematic review and meta-analysis” Evid Based Complement Alternat Med. EPub (2016): 6295737
5. Ma, Y., et al. “[Common TCM syndrome pattern of chronic pelvic pain syndrome relates to plasma substance p and beta endorphin]” Zhonghua Nan Ke Xue. Vol. 20, No. 4 (2014): 363-6 Article in Chinese.
6. Straneva, P.A., et al. “Menstrual cycle, beta-endorphins, and pain sensitivity in premenstrual dysphoric disorder” Health Psychol. Vol. 21, No. 4 (2002): 358-67
7. Rahnama, P., et al. “Effect of Zinger officinale R. rhizomes (ginger) on pain relief in primary dysmenorrhea: a placebo randomized trial” BMC Complement Altern Med. Vol. 12 (2012): 92
8. Hoffmann, D. Medical Herbalism the Science and Practice of Herbal Medicine. Rochester, VT: Healing Arts, 2003
9. Grzanna, R., et al. “Ginger - an herbal medicinal product with broad anti-inflammatory actions” J Med Food Vol. 8, No. 2 (2005): 125-32
10. Altman, R. D., and Marcussen, K.C. “Effects of ginger extract on knee pain in patients with osteoarthritis” Arthritis Rheum. Vol. 44, (2001): 2531-38
11. Jenabi, E. “The effect of ginger for relieving of primary dysmenorrhea” J Pak Med Assoc. Vol. 63 (2013): 8-10
12. Godfrey, A., and Saunders, P.R. Principles and Practices of Naturopathic Botanical Medicine: Volume 1 Botanical Medicine Monographs. Toronto: Canadian College of Naturopathic Medicine, 2010