La santé du microbiote intestinal et de son hôte : Perspectives naturopathiques
Seriez-vous surpris d’apprendre que l’intestin humain contient environ 1,5 kg de bactéries [1] ? Ce microbiote est pratiquement un organe à part entière, qui agit comme un écosystème complet, avec ses propres systèmes immunitaires et nerveux, et a la capacité d’influencer ce que le corps absorbe au niveau de la muqueuse intestinale.
Envisagez les intestins comme une passerelle entre l’extérieur et l’intérieur du corps, connectés par des signaux, des nerfs, des composés, et d’autres molécules. Le tractus gastro-intestinal (TGI) est un tube qui traverse le corps d’un bout à l’autre, et qui agit comme une barrière sélective entre ce que l’on ingère et ce qui est réellement absorbé. Sa tâche consiste à absorber des nutriments et à nous protéger des pathogènes. Mais en même temps, il contient des billions de bactéries qui travaillent de concert avec la paroi intestinale, et qui déterminent des aspects importants de notre santé.
La paroi intestinale doit être constamment soumise à un contrôle rigoureux, afin d’empêcher que le moindre élément innaproprié ingéré puisse aller s’égarer dans le flux sanguin. Les cellules de la paroi intestinale sont sensibles aux changements et aux inflammations associés à ce que vous mangez (ce à quoi les cellules sont exposées) et ainsi qu’aux souches bactériennes présentes.
Il a été démontré qu’une supplémentation en probiotiques a la capacité de renforcer la fonction barrière de la paroi intestinale [2]. Cette barrière contribue non seulement à réduire les infections, mais prévient également les réactions aux antigènes alimentaires qui causent des sensibilités alimentaires ou des réactions du système IgG. Ces réactions peuvent être à l’origine d’une multitude de symptômes tels que des gaz, des ballonnements, de la diarrhée, et de l’eczéma.
La composition de la microflore intestinale n’est toutefois pas uniquement basée sur une supplémentation en probiotiques. Une mauvaise alimentation peut entraîner un changement dans la composition des espèces qui habitent les intestins. Le microbiote intestinal du côlon aide non seulement à digérer les restes provenant des parties supérieures des intestins, mais produit aussi, du grêle au côlon, son propre cocktail de nutriments, ainsi que des neurotransmetteurs et d’autres substances chimiques déterminantes pour notre santé.
Le rôle du microbiote intestinal dans la santé de son hôte
On utilise le terme « microbiote intestinal » pour décrire la multitude d’espèces et de colonies de bactéries et de levures présentes dans le TGI. La composition du microbiote intestinal est déterminée par l’alimentation, le stress, et des facteurs environnementaux [3] ; toutefois, l’alimentation pourrait être le facteur le plus important, car il contribue à 60 % de la microflore intestinale [1].
La diversité et la densité du microbiote intestinal sont influencées par notre alimentation. Par exemple, les bactéries du gros intestin se nourrissent des aliments non digérés dans le petit intestin [1] : cela inclut les amidons résistants ; les polysaccharides non amylacés comme les celluloses, les pectines, et les gommes ; ainsi que les oligosaccharides non digestibles, que l’on appelle souvent « prébiotiques » [4].
Ces éléments actionnent la fermentation des glucides dans le côlon, ce qui libère des acides gras à chaîne courte, source d’énergie pour d’autres bactéries plus spécialisées [5]. Les métabolites produits par le microbiote intestinal jouent un rôle crucial dans la santé de l’hôte. Ces produits métaboliques participent à la régulation des cytokines, de l’inflammation, et du système immunitaire ; à la modulation des douleurs viscérales via l’induction des récepteurs opioïdes et cannabinoïdes ; ainsi qu’à la régulation des nutriments (comme l’acide folique) et des neurotransmetteurs (comme le GABA et la sérotonine) essentiels [1][6].
Nous savons que les bactéries lactiques libèrent des enzymes et des vitamines variées. Il a également été démontré qu’elles affectent le pH de l’environnement intestinal, afin d’empêcher le développement de pathogènes invasifs comme les souches de Salmonella et d’Escherichia coli [2].
Toute perturbation de cet écosystème par l’alimentation, des pathogènes, ou des antibiotiques peut entraîner une dysbiose intestinale et, par conséquent, nuire à l’activité des bactéries intestinales. Cela peut résulter en des effets négatifs sur la santé de l’hôte en raison des changements dans l’intégrité de la paroi intestinale et dans la durée du transit des aliments à travers le TGI [1][7]. Par ailleurs, la dysbiose intestinale a été associée à l’anxiété et la dépression, et il a été démontré dans des études animales qu’une supplémentation en probiotiques pourrait être un traitement potentiel pour ces troubles qui affectent la santé mentale [8].
La connexion entre le cerveau et les intestins
L’axe cerveau-intestins correspond en substance à la connexion entre le système nerveux entérique et le système nerveux central (SNC), qui inclut toutes les communications entre le TGI et le cerveau. Les bactéries intestinales jouent un rôle crucial dans la fonction de cet axe, mais également de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et donc dans la libération des hormones associées au stress [6][8].
La sérotonine, qui est un neurotransmetteur, fonctionne comme une molécule de signalement majeure dans le système nerveux entérique, en collaborant et en se recoupant avec le SNC [6]. Le tryptophane, un précurseur de la sérotonine — que l’on trouve dans les graines, les germes de soja, la viande, et le poisson — est absorbé par les intestins et traverse la barrière hémato-encéphalique, où il est transformé en sérotonine. Il est intéressant de noter que la majorité de la sérotonine présente dans notre corps est en fait située dans les intestins, car synthétisée par les cellules entérochromaffines (CE). Cette production de sérotonine sert à moduler le fonctionnement du TGI via la sécrétion, le péristaltisme, la vasodilatation, et la perception de la douleur et de la nausée [6].
Les CE sont capables non seulement de synthétiser la sérotonine, mais également d’en produire à partir du tryptophane et de l’utiliser comme un signal à l’intérieur de l’axe cerveau-intestins, afin de modifier le comportement de l’hôte [6]. La sérotonine aide également à réguler le développement des microvillosités, les excroissances microscopiques qui augmentent la surface de la paroi intestinale afin d’améliorer l’absorption des nutriments [9].
Développement et maintien d’un microbiote intestinal sain
Comme mentionné précédemment, l’alimentation joue un rôle essentiel dans le maintien d’un microbiote intestinal en bonne santé. Après tout, ces bactéries se nourrissent des composés et des nutriments que l’on trouve dans notre TGI. Les fibres jouent un rôle particulièrement important, et leur absence peut entraîner une migration de bactéries. Si leur source d’alimentation préférée n’est pas disponible, les bactéries vont chercher à se nourrir d’autres composés, comme des acides aminés, et vont libérer des substances potentiellement néfastes pendant leur métabolisme [5]. Ces substances peuvent contribuer au développement d’une inflammation et à des problèmes de perméabilité des intestins, où les jonctions étroites entre les cellules intestinales perdent leur intégrité. Ce processus pourrait influencer le développement d’une maladie inflammatoire de l’intestin ou d’un cancer du côlon, en plus de sensibilités ou d’allergies alimentaires [5].
La fermentation des produits laitiers, comme le yogourt ou le kéfir, avec une bactérie lactique a des effets bénéfiques multiples sur la santé humaine. La fermentation augmente les niveaux de vitamines B2 et B3 dans le yogourt [2]. Une étude sur un yogourt produit avec l’espèce Lactobacillus bulgaricus a démontré qu’une consommation quotidienne réduit considérablement l’incidence du rhume ordinaire chez les sujets âgés [10]. Ces produits laitiers fermentés aident également à atténuer les symptômes d’une mauvaise digestion du lactose [10].
Nous disposons de plus en plus de preuves indiquant que les aliments fermentés sont bénéfiques pour la santé cognitive, pour améliorer la mémoire, et pour prévenir la neurotoxicité. Les régimes riches en probiotiques ont entraîné des effets positifs en termes de soulagement du stress, car les bactéries intestinales sont intimement liées aux réactions hormonales provoquées par le stress [8].
Probiotiques et prébiotiques
Les probiotiques sont, par définition, des microorganismes vivants administrés en doses suffisamment élevées pour produire des effets bénéfiques sur la santé de l’hôte [11]. Les probiotiques peuvent atténuer les réactions hormonales provoquées par le stress, en plus de produire des effets anxiolytiques par la production de GABA, de glutamate, et de sérotonine [8][11].
En situation de stress, des réactions anormales ont été observées chez des adultes souffrant de dysbiose intestinale, ce qui peut être traité par une supplémentation adéquate et la restauration du microbiote intestinal [7]. Il a été démontré que les probiotiques et les espèces bénéfiques de bactéries intestinales apportent du soutien et ont des effets de modulation sur le cortisol, et réduisent en outre la réactivité au stress et à l’anxiété sociale [12].
Les études humaines se poursuivent, et certaines d’entre elles examinent l’implication du microbiote intestinal dans des domaines tels que l’autisme, la maladie de Parkinson, et les douleurs chroniques. Les souches les plus performantes pour améliorer l’anxiété, la dépression, et les réactions au stress, en plus du soulagement gastrointestinal, incluent Bifidobacterium longum, B. breve, B. infantis, Lactobacillus helveticus, L. rhamnosus, L. plantarum, et L. casei, à des doses variant entre 10 millions et 40 milliards d’unités formant colonies (UFC) par jour [11].
Les prébiotiques sont généralement des fibres non digestibles que l’on consomme et qui sont ensuite fermentées par les bactéries du microbiote. Il a été démontré qu’elles ont la capacité de stimuler la croissance et l’activité d’une microflore bénéfique dans le côlon [13]. Les Bifidobacteria préfèrent souvent consommer des oligosaccharides, que l’on peut trouver sous forme de supplément ou dans un mélange symbiotique (probiotiques et prébiotiques). Les prébiotiques sont également naturellement présents dans des aliments comme les poireaux, les asperges, la chicorée, les topinambours, l’ail, les oignons, et l’avoine [4].
Parmi les fibres fonctionnelles qui produisent des bienfaits sur la santé de l’hôte, on peut citer par exemple l’inuline, les bêta-glucanes, et les xylooligosaccharides (XOS). Ces prébiotiques fournissent tous une source unique de carbone pour un soutien spécifique et sélectif des différentes espèces bactériennes. Par conséquent, leur utilisation — individuelle ou combinée — peut permettre d’influencer positivement le microbiote et la colonisation par des espèces bactériennes spécifiques.
Les XOS sont une variété émergente de prébiotiques que l’on trouve naturellement dans les fruits, les légumes, le lait, le miel, et les pousses de bambou. Lorsque administrés seuls, les XOS sont bénéfiques aux espèces Bifidobacterium et les font se multiplier à l’intérieur du microbiome intestinal. Il est particulièrement intéressant de noter que les XOS sont utilisés cliniquement pour améliorer la fréquence et la consistance des selles [13]. Les XOS produisent moins de gaz que l’inuline ; les doses tolérées de XOS sont donc supérieures à celles de l’inuline (environ 12 g/j).
Les études ont démontré que l’ingestion de XOS peut produire dans les intestins une augmentation des espèces Bifidobacterium en 24 heures. Il y a également une plus grande affinité entre les espèces Bifidobacterium et les XOS qu’avec l’inuline ou les bêta-glucanes [13].
Conclusion
La colonisation du TGI par des espèces bactériennes influence de nombreux domaines de notre santé, y compris la digestion, l’humeur, et le comportement. La capacité de la microflore intestinale à moduler les cytokines et à produire des nutriments et des neurotransmetteurs est un facteur essentiel dans le signalement entre les intestins et d’autres systèmes du corps comme l’axe HHS, le système immunitaire, et le SNC. Leur présence nous protège également des infections en renforçant la fonction barrière de la muqueuse intestinale qui sépare l’extérieur de notre corps (y compris ce que nous ingérons) de l’intérieur de notre corps (notamment le sang et les autres tissus corporels).
Les aliments fermentés comme le yogourt et le kéfir, en plus des ingrédients alimentaires prébiotiques comme la chicorée et l’inuline, sont souvent appropriés pour alimenter le microbiote. Toutefois, il est aussi important de maintenir une alimentation riche en fibres par le biais de légumes et de céréales comme l’avoine, qui nourrissent aussi ces bactéries, et qui nous permettent de bénéficier de produits métaboliques bons pour notre santé.
Références
1. van Kylckama Klieg, J.E., et autres. « Impact of microbial transformation of food on health—from fermented foods to fermentation in the gastro-intestinal tract. » Current Opinion in Biotechnology, Vol. 22, N° 2 (2011): 211–219.
2. Parvez, S., et autres. « Probiotics and their fermented food products are beneficial for health. » Journal of Applied Microbiology, Vol. 100, N° 6 (2006): 1171–1185.
3. Lin, C.S., et autres. « Impact of the gut microbiota, probiotics, and probiotics on human health and disease. » Biomedical Journal. Vol. 37, N° 5 (2014): 259–268.
4. Savin, J. « Fiber and prebiotics: Mechanisms and health benefits. » Nutrients, Vol. 5, N° 4 (2013): 1417–1435.
5. Marchesi, J.R., et autres. « The gut microbiota and host health: A new clinical frontier. » Gut, Vol. 65, N° 2 (2016): 330–339.
6. O’Mahony, S.M., et autres. « Serotonin, tryptophan metabolism and the brain-gut–microbiome axis. » Behavioural Brain Research, Vol. 277 (2015): 32–48.
7. Mayer, E.A., K. Tillisch, et A. Gupta. « Gut/brain axis and the microbiota. » The Journal of Clinical Investigation, Vol. 125, N° 3 (2015): 926–938.
8. Kim, B., et autres. “A review of fermented foods with beneficial effects on brain and cognitive function. » Preventive Nutrition and Food Science, Vol. 21, N° 4 (2016): 297–309.
9. Nakamura, K., et autres. « Role of a serotonin precursor in development of gut microvilli. » The American Journal of Pathology, Vol. 172, N° 2 (2008): 333–344.
10. Morelli, L. « Yogurt, living cultures, and gut health. » The American Journal of Clinical Nutrition, Vol. 99, N° 5 Suppl. (2014): 1248S–1250S.
11. Wang, H., et autres. « Effect of probiotics on central nervous system functions in animals and humans: A systematic review. » Journal of Neurogastroenterology and Motility, Vol. 22, N° 4 (2016) 589–605.
12. Misra, S., et D. Mohanty. « Psychobiotics: A new approach for treating mental illness? » Critical Reviews in Food Science and Nutrition, Vol. 59, N° 8 (2019): 1230–1236
13. Carlson, J.L., et autres. « Prebiotic dietary fiber and gut health: Comparing the in vitro fermentations of beta-glucan, inulin and xyloologsaccharide. » Nutrients, Vol. 9 N° 12 (2017): E1361.
Sarah Zadek, ND
Naturopather ontarienne, diplômée du Collège canadien de médecine naturopathique à Toronto.
sarahzadeknd.com